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La force obligatoire du contrat : l’imprévision

La force obligatoire du contrat : l’imprévision

Auteur : Jean-Marie Seevagen avocat au barreau de Paris
Publié le : 01/06/2023 01 juin juin 06 2023

Concept juridique introduit dans le cadre de la réforme du droit des obligations intervenue en 2016 et codifié à l’article 1195 du Code civil.


Ce texte dispose : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. »

La  jurisprudence consultée permet de relever que la demande est souvent rejetée en l’absence de preuve du premier critère du texte soit le changement de circonstances imprévisible d’une part, d’autre part du second critère à savoir une exécution « excessivement onéreuse ».

Ma réflexion est de 2 ordres : la contractualisation de la notion de « changement de circonstances imprévisible » et la preuve du caractère excessivement onéreux de la poursuite de l’exécution.

Le postulat de départ étant que le contrat n’a pas écarté l’application de l’article 1195 du Code civil par une clause contractuelle ayant pour objet d’en exclure l’application.
 
"En revanche, l'onérosité excessive de l'exécution du contrat ne peut se déduire, ni de la seule variation du prix de l'urée facturée au fournisseur, ni a fortiori être déduite des variations de cours enregistrées sur des marchés de gros du gaz, ni enfin, de l'affirmation selon laquelle le fournisseur vend à perte à la société acheteuse, de sorte qu'à défaut de produire des éléments comptables et financiers de nature à caractériser cette condition de la résiliation du contrat sur le fondement de l'imprévision, la cour confirmera le jugement qui a rejeté la demande."
SOURCE : LEXISNEXIS

Le présent post sera conduit à partir d’un arrêt de la cour d’appel de Paris - définitif pourvoi rejeté - du 25 novembre 2022 (22/00326) 

La cour d’appel rejette la demande du fournisseur (en l’espèce d’une solution aqueuse destinée à réduire les émissions polluantes de véhicules diesel) au motif que si le fournisseur soutient à juste titre la réalité de l’inflation du prix de l'urée (matière première concernée), l’envolée des prix sur les marchés du gaz en indiquant qu’il s’agit bien d’un changement de circonstances imprévisible affectant le prix de vente du produit, le fournisseur ne rapporte pas la preuve du caractère excessif du coût de l’exécution (exécution excessivement onéreuse).

Ce qui signifie que le rejet de la demande relève de la notion de preuve, c’est-à-dire des règles de preuve en justice.

C’est un lieu commun que de rappeler que la preuve est au cœur du contentieux. Mais pas n’importe quelle preuve.

La preuve doit être objective. En effet le Code civil interdit à celui qui a la charge de la preuve de se constituer des preuves a lui-même.

Le contrat doit par conséquent inclure un dispositif permettant d’établir le caractère objectif des éléments de preuve qui vont déclencher telle ou telle action. En l’espèce le bien-fondé d’une demande de révision du contrat pour imprévision.
 
  1. Changement de circonstances imprévisible

C’est le changement qui est imprévisible d’où la rédaction au singulier.

Il est indispensable de lister les différentes circonstances à partir desquels le mécanisme de l'imprévision est susceptible d’être enclenché.

Cela peut être le prix de la matière première qui doit être mentionnée dans le contrat, les coûts de transport ou le cas échéant la mise en œuvre d’une nouvelle réglementation dont l’incidence rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse.

Il est donc nécessaire de lister.

Inconvénient : les situations de fait absentes de la liste sont susceptibles d’être écartées.

Il importe par conséquent d'être suffisamment large pour appréhender les différentes circonstances susceptibles d’affecter l’exécution du contrat sur le long terme dans le cadre d’une négociation avec le cocontractant qui aura bien évidemment son mot à dire.
 
  1. Le caractère excessif du coût de l’exécution

Il me paraît ici indispensable de mentionner que le caractère excessif de l’exécution suppose de déterminer un seuil à partir duquel les parties consentent à considérer que l’exécution devient excessivement onéreuse au sens du texte.

Cela suppose et induit de réfléchir à la manière de rapporter une preuve objective de la situation constatée par le débiteur de l’obligation contractuelle qui supporte les différentes charges qui constituent son coût de revient.

Quel dispositif contractuel ?

Exemple : « Les parties conviennent de caractériser l’onérosité excessive au sens de l’article 1195 Code civil en retenant au titre des coûts de revient supportés par le fournisseur/le constructeur… - d’une manière générale le débiteur de l’obligation - lorsque les coûts de revient/le coût de revient est supérieur de x% (15 % par exemple mais cela peut être 30 % ou davantage) au coût constaté à la date de prise d’effet du contrat.

La société X en sa qualité de débitrice de l’obligation de fourniture/de réalisation (par exemple) mettra à la disposition de son client les éléments d’appréciation permettant d’établir le seuil d’augmentation à partir duquel le mécanisme de l’imprévision de l’article 1195 Code civil doit être mobilisé. »

Mise en œuvre de l’imprévision

Au dispositif contractuel de fond, s’ajoute de façon nécessaire et indispensable un dispositif formel qui consiste à déterminer par avance les modalités de mobilisation du mécanisme de l’imprévision.

Exemple : « La société X informera son client de sa demande de mobilisation/d’application de la clause imprévision de la manière suivante :

La société X adressera à son client/la société Y une demande sous forme de lettre recommandée avec avis de réception détaillant les raisons pour lesquelles elle sollicite la mise en œuvre du mécanisme de l’imprévision.

Cette lettre comportera l’analyse des critères d’application du texte à savoir :

Description de la circonstance/des circonstances justifiant la mise en œuvre de la clause par référence au dispositif contractuel examiné à l’article X ci-dessus ;

Transmission des éléments comptables (factures) représentatifs des différents coûts de revient à partir desquels la société X considère que le seuil de mobilisation est atteint. »
(Référence aux motifs de l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui mentionne expressément l’absence d’éléments d’ordre financier et comptable)

Déroulement de la négociation

Exemple : « Les parties conviennent expressément de renoncer à l’intervention immédiate du juge et ce par dérogation au 2e alinéa de l’article 1195 du Code civil.

Le processus de négociation sera mis en œuvre dans le cadre d’une médiation conventionnelle prévue par les articles 1532 et suivants du code de procédure civile.

La convention de médiation devra prévoir notamment :
 
  • la mise en œuvre d’une mesure d'instruction prévoyant la possibilité pour les parties de désigner un expert inscrit sur la liste des experts judiciaires de la cour d’appel territorialement compétente et/ou inscrit sur la liste des experts agréés auprès de la Cour de cassation ;
  • Les modalités d’échange des documents, leur degré confidentialité et la possibilité le cas échéant d’en faire état en cas d’échec de la médiation ;
  • la possibilité pour les parties d’inclure ce dispositif dans un acte d’avocat établi avec le concours de leurs avocats respectifs.
  • Les modalités de désignation du médiateur : elle sera effectuée d’un commun accord entre les parties et à défaut d’accord par le président du tribunal judiciaire et/ou du tribunal de commerce territorialement compétent.

En cas d’échec de la médiation conventionnelle constatée par le médiateur sous forme procès-verbal communiqué aux parties, les parties recouvreront leur liberté d’action, notamment au titre de la saisine de la juridiction compétente et/ou conviendront de recourir à une procédure d’arbitrage. »
(Clause compromissoire : initialement prévue au contrat - Compromis : décision de soumettre un litige né à l’arbitrage)

Observations

La procédure d’arbitrage à l’inconvénient de son coût car les parties auront à rémunérer l’arbitre ou les arbitres (en nombre impair soit 1, soit trois).
En revanche, l’arbitrage permet d’assurer la confidentialité du litige.

L’échec du processus amiable, quel qu’il soit peut amener les parties soit de renoncer à leur demande, soit d’obtenir une décision juridictionnelle (décision judiciaire) ou une sentence arbitrale à effet équivalent et sous réserve du respect des dispositions permettant sa mise en œuvre dans le cadre de l’exécution, le cas échéant, forcée.

Il n’y a pas d’autres mécanismes de contrainte permettant la mise en œuvre d’une procédure d’exécution forcée.

Jean-Marie Seevagen
avocat au barreau de Paris

 

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